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samedi 28 mai 2011

EXOTIQUE EN TOC




Je me suis récemment plongé dans la lecture du livre de Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts, Homo exoticus, ayant pour sous-titre Race, classe et critique queer, qui prétend se pencher sur la fabrique de l’identité gay française.
Surfant sur la nouvelle mode de la critique des représentations « ethno-raciales » des Cultural Studies américaines, les auteurs nous entraînent sur le terrain dépaysant d’une prétendue « exotisation » de l’homophobie.

D’emblée, dès le sous-titre de couverture, le mot « race » donne le ton de l’ensemble de l’ouvrage.

À partir du postulat qu’il existerait des races et non une seule race humaine, on s’engage sur des terrains de différenciation qui font les beaux jours des nouvelles théories culturalistes propres à remettre en question l’universalisme des Lumières et notre bon vieux concept d’assimilation républicaine.

S’ensuit une longue digression sur la représentation homo-normative de la fantasmatique gay, qui serait aujourd’hui exotique, voire pire, postcoloniale, avec comme figure centrale le « beur », le noir, ou la « racaille » des cités.

Comme si, de tout temps, le théâtre de nos fantasmes ne s’était pas nourri d’archétypes de la virilité : du marin ou du marlou des années vingt au survitaminé de Tom of Finland, en passant par les « ragazzi di vita » de Pasolini, les malfrats de Fassbinder, les clowns déguisés de Village People ou la nouvelle brute banlieusarde, François Sagat. Et qui demain ?

Il est vrai que, sous le microscope des doctes universitaires ou de chercheurs spécialistes du genre, nos pauvres désirs codifiés ont tôt fait de devenir de passionnants sujets d’études sociopolitiques soumis à la critique culpabilisante de la nouvelle bien-pensance venue d’outre-Atlantique.

Ainsi donc, un nouvel « orientalisme » traverserait, mais cela reste à prouver, l’imaginaire gay actuel, qui ne serait qu’un avatar du colonialisme larvé qui sommeillerait en chacun de nous.

Nous voici donc en conséquence condamnés à traîner cette tare quasi génétique, imprégnée en nous comme la moisissure dans le roquefort, qui ferait de nous, minorités sexuelles, de potentiels oppresseurs d’autres minorités ethniques.

Nous voici alors généreusement invités à faire repentance, pourquoi pas par de vigoureux battages de coulpe quotidiens, et à entrer en résistance contre ce que Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts nomment : « le projet hégémonique de contrôle de la signification des termes “laïcité”, “républicanisme” et “modernité” ». Comble de l’horreur, nous serions devenus, selon les auteurs, les suppôts d’une politique de civilisation occidentale, portés par les fringants chevaux de l’« homo-normativité ».

Il est évident que si l’on prend comme modèle de base les microcosmes communautaristes du Marais ou d’ailleurs, on ne peut qu’enfoncer des portes ouvertes sur des attitudes d’exclusion non seulement envers ce que l’on nomme aujourd’hui pudiquement les « minorités visibles », les pas-bien-blancs, mais aussi les vieux, les moches, les efféminés, les trans, les malingres, les trop-gros, les mal-vêtus, les sans-le-sou, j’en passe et des meilleures dans le catalogue sans limite des mises à l’écart… Mais ce n’est, heureusement, qu’une partie de la diversité des homosexuels hexagonaux.

Dans cette démonstration manichéenne et cette critique d’une stigmatisation par le milieu gay de l’homophobie des cités, que l’on présente comme une composante de notre identité actuelle, se dissimule une autre critique plus insidieuse, celle de l’assimilation défendue par notre modèle républicain.

L’homophobie, qu’elle soit le fait des oppresseurs ou des opprimés, reste inacceptable et inexcusable, et le vrai problème est surtout lié à l’échec total des politiques successives d’éducation et des politiques de la Ville depuis les années soixante. Constatant que 43 % des jeunes hommes des quartiers sensibles sont au chômage, soit un garçon sur trois, que l’on ne s’étonne pas qu’ils se réfugient dans un réflexe identitaire ou religieux.

Que des mouvements d’extrême droite récupèrent la thématique des droits des minorités et qu’ils séduisent une bonne partie des gays dans certains pays, c’est aussi un fait inquiétant qui illustre la confusion qui s’installe sur le terreau des communautarismes.

Ici, le FN ou le Bloc identitaire se découvrent tout à coup une vocation laïque pure et dure, alors qu’ils couvent sous leurs ailes sombres des fondamentalistes ensoutanés comme les enfants de chœur matraqueurs de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ou de l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne de Bernard Antony.

Que leur « laïcité » de circonstance serve de mauvais maquillage à la xénophobie, c’est une évidence, mais c’est sans compter sur la cécité du plus grand nombre, sensible aux sirènes populistes.

À l’opposé, enrôler les deux termes « homophobie » et « islamophobie » sous la même bannière du combat idéologique queer, c’est célébrer un mariage improbable de la carpe et du lapin.

Judith Butler, la Mary Poppins américaine du genre qui a, depuis bien des années, les deux pieds bien calés dans le baquet du politiquement correct, vient de refuser le prix de la Gay Pride de Berlin au prétexte de l’instrumentalisation par les gays de l’homosexualité à des fins commerciales et « islamophobes ». Commerciale certainement, mais l’œcuménisme avec nous ! C’est n’importe quoi. Qu’Allah ou Dieu soient loués ! Mais laissons-les où ils doivent être.

Désolé, je préfère notre modèle républicain d’assimilation autour de valeurs communes que le multiculturalisme communautariste anglo-saxon qui s’est révélé être un fiasco total et n'a fait que créer des catégories sociales, ethniques ou religieuses qui vivent chacune en quasi circuit fermé.

Les derniers mots du livre de Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts, sont : « Si la culture gay veut rester force de transformation sociale, il lui faut aujourd’hui sonder le blanc des yeux, et quitter les rivages de l’exotisme. »

Encore faudrait-il que nous ayons réellement accosté sur ces rivages-là…

Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts
Homo exoticus, Race, classe et critique queer
Éditions Armand Colin, collection Médiacultures.

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